Morgan descendit du taxi et s’approcha de la vitre du conducteur pour payer sa course. Elle ne savait pas conduire et n’en voyait pas vraiment l’utilité, puisque l’argent lui permettait de se payer un chauffeur chaque fois que c’était nécessaire. En plus là, Emy n’utilisait même pas sa propre fortune mais celle d’Elijah, quand la demoiselle passait la nuit chez lui, et que son petit ami ne pouvait pas la reconduire, il lui offrait le taxi, un véritable gentleman. Elle eut un sourire en pensant à lui lorsqu’elle passa la grille qui enfermait le manoir. Si cela n’avait tenu qu’à l’étudiante elle ne serait pas rentrée ce matin-là. Mais il lui fallait des affaires propres à emporter chez Eli, et puis cela faisait tout de même plaisir à son père.

L’œil fatigué, car Ev’ n’avait pas encore prit sa tasse de café matinale. N’étant donc pas d’humeur à croiser son frère ou n’importe qui d’autre, la jeune femme avait essayé d’être aussi discrète que possible en ouvrant la lourde porte de sa maison d’enfance. Manque de bol son père, somme toute très pimpant était là et fit comme si c’était normal que sa fille rentre en milieu de matinée. Morgan le détailla avec son sourire débile et eut envie de s’enfuir pour s’enfermer dans sa chambre. Depuis qu’elle avait découvert les journaux, la brunette n’accordait plus aucun crédit à son paternel. Il avait passé sa vie à lui mentir sur qui elle était véritablement, depuis sa prime enfance, elle s’était toujours sentie évincée, moins importante que son frère, inutile presque. Alors Eve n’avait pas envie que son père lui montre aujourd’hui de l’intérêt, cela sonnait bien trop faux. Soupirant lentement et avec une voix marquant un profond ennui elle lui répondit.

« Ouais, salut… »

Accompagnant ses paroles, elle claqua le panneau de chêne et espéra qu’une douleur insidieuse se diffusait dans le cœur de Jeremiah. Ce n’était pas son genre d’être méchante mais son père l’avait bien assez fait souffrir pour que maintenant se soit son tour. Et sans plus attendre elle fila dans la cuisine. Morgan avait plus que besoin de sa dose de caféine. La demoiselle se sortit une tasse et se saisit de la cafetière encore à moitié pleine. Elle n’en revenait toujours pas, « Tiens salut Eve! », non mais il revoyait sa fille ou une vielle pote là ? On comprenait ensuite pourquoi petite elle n’avait toujours été que la seconde. Visiblement sans pouvoir, sans importance, de qui se moquait-on. Eve n’était personne au sein de sa famille, alors qu’Elijah, lui il prenait soin d’elle, la traitait comme une princesse, il n’y avait pas à chercher bien loin pourquoi elle l’écoutait lui. Armée d’un café au lait et d’une assiette de toasts la belle, alla s’installer dans la salle à manger avec son mobilier élisabéthain. Enfin Eve prit la peine de retirer sa veste et de poser son énorme sac fourre tout par terre. La bonne aurait encore un peu de travail. Sans grande conviction, la brune plongea son pain grillé dans sa tasse et en prit une bouchée se demandant pourquoi elle avait prit la peine de rentrer chez elle. Ce n’était même pas une journée de cours et elle aurait donc tout aussi bien pu rester chez les Carlson pour se prélasser dans leur baignoire en forme de coquillage.

Morgan faisait de son mieux pour ignorer son père, dans la cuisine cela avait été assez facile parce qu’elle pouvait s’activer, faire autre chose mais là, à table c’était une autre histoire. Jeremiah avait décidé de se prendre un petit déjeuner lui aussi. Pour de vrai ou juste pour l’embêter, la brunette n’en avait aucune idée et au fond elle préférait ne pas savoir. Parce que finalement si c’était la dernière solution la bonne c’était assez sadique. Mais décider à ne pas faire d’effort Eve garda le nez dans sa tasse et ses toasts, faisant au mieux pour ne pas accorder une once d’attention à son paternel. Et pourtant ce n’était pas si facile que cela en avait l’air. La demoiselle avait pensé une grande partie de son enfance à essayer de plaire à son, à essayer de se faire remarquer, ne plus être invisible et aujourd’hui elle infligeait le traitement à celui qui plus ou moins lui avait donné la vie. Sans la porter pendant neuf mois mais on savait tous qu’il fallait être deux pour faire un enfant.

Finalement lasse de ce silence et de voir l’air de chien battu sur les traits de Jeremiah, Emy lâcha sa tartine sur la table et le regarda dans les yeux. Cela n’arrivait pas souvent et la jeune femme était aussi intimidée que ce qu’elle aurait aimé voir sur le visage de son père. Elle déglutit difficilement et se mordit les lèvres, cherchant le courage de lui dire quelque chose et surtout quoi. Parce que ce serait délicat, elle ne pouvait pas clairement l’envoyer sur les roses sans aucun motifs valable mais l’étudiante ne voulait pas non plus qu’il croit que parce qu’elle lui adressait la parole c’était dans la poche. Parce que c’était loin d’être le cas. Ev’ n’oublierait pas dix neuf ans où elle était passé au second plan en un claquement de doigt, hors de question. Pas maintenant qu’elle savait la vérité sur sa famille et qu’elle avait comprit qu’on la mettait à l’écart parce qu’elle ne possédait aucun pouvoir contrairement au précieux Roy, monsieur parfait.

« C’est pas bientôt fini ? Je suis plus une gamine j’ai pas besoin que tu me surveille dès que je mets un pied dans la maison. »

Pour ponctuer sa phrase la brunette cogna du poing sur la table et se fit légèrement mal, puis elle se leva en manquant de faire basculer sa chaise. Elle regrettait sincèrement d’en être là avec Jeremiah, surtout avec sa mère à l’hôpital mais s’en était trop. Son père ne pouvait pas simplement lui donner l’impression d’exister maintenant. Elijah avait raison, elle ne lui devait rien après tant d’année, il n’avait même plus besoin de se conduire comme un parent si c’était une telle tâche pour lui, et le voir faire semblant était encore plus agaçant. Et alors que Morgan tentait de regagner l’escalier principal, elle se redemanda pourquoi elle était rentrée chez elle aujourd’hui ?!

Morgan ne perçu que vaguement les paroles de son père alors qu’elle faisait route vers l’escalier qui l’emmènerait à sa chambre pourtant lorsqu’il utilisa son nom complet pour se faire respecter, la petite fille en elle se stoppa net. Fichue autorité paternelle ! Pensa la jeune femme qui serra les points d’énervement. Elle était là, bêtement au pied du grand escalier en marbre à moitié arrondis, style grand siècle. Mo’ détestait quand elle se retrouvait obligée d’obéir à cause de son éducation. Pourtant elle n’était pas une rebelle dans l’âme, loin de là mais presque comme si elle était envoutée, Jeremiah lui sortait par les yeux, et il n’y avait rien qu’elle puisse faire contre la grosse voix du sorcier. D’accord la demoiselle l’avait bien cherché en lui sautant à la gorge comme elle venait de le faire mais Eve voulait simplement faire comprendre à son père qu’elle n’était plus une petite fille, qu’il ne devait plus lui mentir parce qu’elle était en âge de comprendre que le mouton noir de la famille, c’était elle.

Lentement et à contre cœur, l’étudiante fit demi tour pour retourner dans la salle, comme le condamné qui s’avance jusqu’à la potence. Cependant son regard exprimait tout son agacement et sa lassitude. Mais en petite fille aristocrate et bien élevée, Emy s’inclinait devant l’autorité, prête à recevoir un savon et une punition si cela enchantait son vieux père. La brunette s’en fichait, elle savait qu’au pire elle ferait le mur ou qu’Elijah la rejoindrait en infiltration. Depuis qu’il lui avait confié le secret sa naissance et de sa filiation, ils étaient plus unis et amoureux que jamais et ne se séparait quasiment plus. A regret, Morgan avouait que son petit ami était sa drogue ce qui n’était jamais bon mais il lui était impossible de lutter. Et comme une petite fille impatiente, elle croisa les bras sous sa poitrine et attendit que le tonnerre gronde.

Ev’ savait qu’elle n’avait aucune défense pour elle et qu’en plus elle mériterait son sermon, cependant elle n’avait plus peur d’Elijah, son corps ne faisait que réagir à dix neuf ans de conditionnement du reste du patriarche et de reconnaissance pour son géniteur même si dans son esprit Morgan était bien loin de tout cela et s’étonnait toute seule de son insolence. L’air de rien, la jeune fille tapota son index sur son bras, impatiente alors qu’elle n’était pas du tout en position de fanfaronner, mais au fond, elle cherchait la provocation, atteindre le point de rupture qui lui permettrait de justifier son départ définitif de la maison. L’occasion d’avoir raison et de pouvoir jeter au visage de Jeremiah qu’il ne l’avait jamais aimé.

Morgan resta silencieuse, ne sachant ce qui allait lui tomber sur le coin du nez, elle ne se souvenait pas d’avoir déjà vu Jeremiah en colère, ou alors si mais quand elle avait fait une véritable bêtise. Cela datait donc plutôt de son enfance, quand elle s’amusait à prendre le service chinois pour jouer avec ses poupées et cassait une tasse, ou alors quand la brunette s’amusait à crayonner les tableaux de maitre dans le bureau de son père. Elle s’attendait donc à tout sauf à sa voix calme et maitrisée. Autant d’attente pour ça, l’étudiante se demanda si cela valait vraiment le coup de continuer à défier son père, il se faisait vieux. Aucun problème, Mo’ pourrait aller chercher querelle avec son frère cela marchait à tous les coups. Cependant elle fut surprise par son incompréhension, comme s’il n’avait jamais su qu’Eve s’était toujours sentie inférieure par rapport à saint Roy, le fils prodigue.

Pourtant ce n’était rien comparé à la suite de la conversation. Il fallu toute la concentration d’Emy pour ne pas perdre sa mâchoire inférieure. Son père encourageait sa relation avec Elijah ? Cela n’avait ni queue ni tête, quelqu’un avait glissé des calmants dans son café ou quoi ? Et il voulait qu’ils se mettent en ménage. Alors là c’était Ev’ qui ne comprenait plus rien. Dans son esprit son père n’avait jamais supporté sa relation, personne ne l’avait fait en fin de compte et là on lui disait qu’il était temps pour elle de voler de ses propres ailes et de rendre sa relation des plus officiels. Bien que suspicieuse, Morgan ne se le ferait pas dire deux fois. Du moins c’était ce qu’elle aurait voulu dire, au lieu de cela, elle demanda une confirmation que ce n’était pas juste dans son imagination que son paternel avait prononcé de telles paroles.

« Attends t’es en train de me dire que tu es prêt à me payer un appartement pour que je me mette en ménage avec Eli ?! Ou est-ce que c’est juste une façon polie de me mettre à la porte ? »

La jeune femme se serait presque giflée pour sa dernière phrase avec laquelle elle risquait de se voir fermer la porte de l’offre que venait de lui faire Jeremiah mais c’était un peu trop gros pour elle. C’était impossible que son père se montre gentil et compréhensif envers sa personne. Et oui elle attendait bien de sa part qu’il paie pour tout ça. Mo’ était une étudiante sans revenue et ne pouvait donc pas s’offrir un loyer au cœur de Londres, ce qui la laissait encore plus perplexe fasse à la proposition du patriarche. Il y avait forcément une arnaque quelque part. Une condition pour que son père lui offre un appartement, un revers de médaille qui arriverait pas la suite, ou alors comme elle l’avait suggéré, c’était une façon pour lui de l’éloigner comme ça lui et Roy pourraient continuer leur cachoteries dans le grenier sans risque qu’Eve débarque en plein milieu.

Mais au fond de son cœur Morgan espérait seulement que cette proposition soit sérieuse, et sans arrière-pensée. Son père devait bien l’aimée un peu, du moins la demoiselle voulait y croire. Ce n’était pas possible que Jeremiah la déteste, il l’aimait moins que son ainé mais il devait bien y avoir une petite place pour elle dans son cœur, comme la petite photo qui occupait une place dans son portefeuille. Parce qu’en fait il ne fallait pas chercher plus loin, si Emy cherchait sans cesse la confrontation et se rebellait ce n’était pas seulement à cause de son petit ami, mais aussi parce qu’elle avait besoin d’attention, besoin d’une preuve d’amour. Ce n’était pas grand-chose que de vouloir être sûre que vos parents tiennent à vous. En tout cas, son professeur de psycho lui aurait donné raison, même si ces méthodes à elle n’étaient pas très orthodoxes. Son père ayant désormais toute son attention, la brunette attendit une réponse plus précise à ses interrogations. Elle était limite prête à lui sauter dans les bras si elle avait bien compris ce qu’il venait de lui dire et s’il y avait une véritable chance que cela arrive.

Morgan cru un instant qu’elle avait poussé le bouchon un peu trop loin en remettant une fois de plus en doute la parole de son père, malheureusement c’était plus fort qu’elle. Le sentiment de trahison qu’elle ressentait à son égard n’avait pas d’égal. Depuis son enfance, Eve avait toujours ressenti qu’elle n’était que la deuxième, la fille, celle qui est là pour décorer, mais avec les révélations d’Elijah sur la famille et sur ses pouvoirs magiques la cassure s’était agrandie. Non elle ne voulait plus de sa chambre d’enfant, elle ne voulait plus du manoir qui refermait tant de mauvais souvenir, ni de son grenier maudit. Jeremiah essaya ensuite de plaider sa cause, en père aimant il voulait simplement lui donner le meilleur, il l’aimait. L’étudiante secoua doucement la tête, son père n’avait toujours rien comprit. Comment le pourrait-il, il ne la connaissait pas vraiment, ils n’avaient rien en commun et n’aurait jamais la relation parent/enfant idéale.

« Mon problème ce n’est pas que ne m’aimes pas…c’est que tu m’aimes moins. »

Et sur cette phrase, la brunette tourna les talons pour repartir vers l’escalier. Elle n’avait plus aucune envie de continuer cette conversation et son père non plus puisqu’il allait partir avant qu’elle n’ouvre la bouche. Toute cette histoire lui avait donné mal au crâne et elle n’avait plus aucune raison de vouloir se confronter à Jeremiah. Il disait l’aimer, vouloir la rendre heureuse et bien soit. En chemin elle lui cria.

« Contacte ton agent immobilier, Elijah et moi on veux s’installer à Mayfair ! »

Emy n’avait pas choisi ce quartier par hasard, mais parce que s’était l’un des plus chers de la ville. Parce que sinon elle n’avait pas réellement de préférence, n’importe où pouvait lui convenir tant qu’elle y était seule avec son petit ami. Loin de sa famille et du cocon que formait Roy avec son père et qui lui donnait à tous les coups des nausées. La brunette monta les marches quatre à quatre et fonça s’enfermé dans sa chambre, s’étalant sans ménagement sur son lit à baldaquin. Elle soupira pour laisser toute sa tension s’évacuer. Mo’ savait que c’était de sa faute, elle provoquait les affrontements, mais c’était plus fort qu’elle, l’étudiante ne pouvait pas lutter. Un air mielleux sur le visage et des mots sucrés, cela l’agaçait lus que tout tellement cela donnait une impression de fausseté. Au moins maintenant la situation serait temporaire, bientôt Morgan et Elijah aurait leur petit nid rien qu’à eux et la demoiselle n’aurait plus à voir son paternel tous les jours que Dieu faisait.